Evaluation du réactif CRYOCheck Hex-LATM dans la recherche des lupus anticoagulants
Introduction
Les anticorps antiphospholipides sont des anticorps d’isotype IgG ou IgM dirigés contre des complexes associant des protéines et des phospholipides (PL). Ces anticorps peuvent être transitoires et non pathogènes, ou persistants et associés à un risque majoré de thromboses veineuses ou artérielles, d’où l’importance de leur dépistage. D’après les recommandations de l’ISTH (1), la recherche des anticoagulants circulants de type lupique ou lupus anticoagulant (LA) doit reposer sur deux méthodes de détection, dont un temps de venin de vipère Russell dilué (DRVVT) et un TCA sensibilisé utilisant la silice comme activateur. Dans notre laboratoire, la recherche des LA est effectuée avec les réactifs PTT-LA® et DRVV® (Stago). En cas de traitement par héparine ou de difficulté à interpréter ces tests, le Staclot LA® (Stago) est réalisé, mais ce dernier réactif a pour inconvénient de ne pas être automatisé et est sensible à une augmentation de la protéine C réactive (CRP). Le réactif Hex LA™ (Cryopep) repose sur un principe similaire à celui du Staclot LA, utilisant les PL en phase hexagonale, pouvant être automatisé et décrit comme peu sensible à la CRP. L’objectif de cette étude était d’évaluer les performances de ce réactif comparativement à ceux du PTT-LA et du Staclot LA lors de notre démarche diagnostique.
Patients et Méthodes
Patients
Le réactif Hex LA a été testé sur 54 échantillons, issus de 52 patients, pour lesquels une recherche de LA avait été réalisée au laboratoire. Les analyses ont été effectuées sur plasma dépourvu en plaquettes (PDP) obtenu après double centrifugation (11 min, 2250 g, 25 °C) à partir de sang prélevé sur tube citrate (0,109 M, 9:1). En accord avec les recommandations de l’ISTH, les réactifs utilisés en routine au laboratoire sont le PTT-LA® (Stago), qui permet de mesurer un temps de céphaline sensibilisé avec comme activateur la silice et le STA-Staclot DRVV® (Screen et Confirm) (Stago), qui permet la mesure d’un temps de venin vipère Russell dilué. Lorsque cela est nécessaire et afin de confirmer le caractère PL dépendant de la voie du TCA sensibilisé, un Staclot LA® (Stago) peut être réalisé. Le kit Hex LA™
(Cryopep) que nous avons évalué permet, à l’instar du
Staclot LA®, de mesurer un temps de céphaline sensibilisé avec comme activateur la silice, utilisant des PL en phase hexagonale et contenant un inhibiteur d’héparine. Il utilise deux réactifs : le LA Start, pauvre en phospholipides et le LA Correct, riche en phospholipides, qui permettent de mesurer deux temps de coagulation. La différence entre ces deux temps permet de conclure à la présence ou non de LA dans le plasma du patient. Les analyses ont été réalisées de façon automatisée sur automate STA R Max (Stago), à l’exception du Staclot LA qui a été réalisée sur Start Max (technique semi-automatisée). Les dosages de la CRP ont été réalisés avec le réactif Tina-quant sur automate Cobas PRO (Roche).
Stratégie diagnostique au laboratoire
Au sein de notre laboratoire, et en l’absence de traitement anticoagulant, la stratégie de recherche de LA est la suivante (Figure 1) :
Cet arbre décisionnel est modifié selon les traitements anticoagulants administrés aux patients au moment de la recherche de LA :
• Traitements par héparine non fractionnée (HNF) ou héparine de bas poids moléculaire (HBPM) : une mesure de l’activité anti-Xa est réalisée :
– activité anti-Xa < 0,10 UI/mL : la procédure classique est suivie ;
– activité anti-Xa entre 0,10 et 0,80 UI/mL : le PTT-LA n’est pas réalisé : seul le DRVV est réalisé en premier lieu. En cas de recherche négative avec le DRVV, le Staclot LA est réalisé ;
– activité anti-Xa ≥ 0,8 UI/mL : recherche de LA non réalisée.
• Anti-vitamine K : l’INR (International Normalized Ratio) est mesuré :
o INR < 1,5 : la procédure classique est suivie ;
o INR entre 1 et 3 : le PTT-LA et le DRVV sont réalisés. Toutefois, le DRVV est réalisé sur un mélange volume à volume du plasma du patient avec un pool de plasma normal ;
o INR ≥ 3 : recherche de LA non réalisée.

Figure 1 : Algorithme décisionnel de recherche de LA au laboratoire d’hématologie-hémostase du CHRU de Tours.
Figure 1: Decision-making algorithm for LA testing at the hematology-hemostasis laboratory of the Tours University Hospital.
• Anticoagulant oral direct : le plasma du patient est traité par du charbon (DOAC-Remove™ ; 5-Diagnostics) et le résultat n’est rendu qu’en cas de recherche de LA négative.
Protocole de l’étude
Afin d’évaluer le réactif Hex LA et de le comparer à nos réactifs PTT-LA et Staclot LA, la voie du TCA sensibilisée a été explorée dans sa totalité, quel que soit le résultat des tests DRVV. Trois groupes de patients ont ainsi été individualisés en fonction des résultats de la voie du TCA sensibilisé : « PTT-LA négatif » pour les échantillons avec un PTT-LA < 1,20
(n = 12), « Staclot LA négatif » pour ceux avec un Staclot LA < 8 s (n = 17) et « Staclot LA positif » pour ceux avec un Staclot LA ≥ 8 s (n = 25). La répétabilité et la reproductibilité du Hex LA ont été évaluées sur l’automate STA R Max après 9 passages de contrôles LA1 (négatif) et LA2 (positif) (Stago).
Résultats
Les résultats de répétabilité et de reproductibilité sont détaillés dans le tableau 1 ci-après. La différence entre le temps du LA Start et du LA Correct (Delta) est toujours négative (< 7 s) pour le LA 1 et positive (> 7 s) pour le LA2.
La recherche de LA avec le réactif Hex LA est négative dans : 100 % (12/12) des cas lorsque le PTT-LA est négatif, 88 % (15/17) des cas lorsque le Staclot LA est négatif et 80 % (20/25) des cas alors que le Staclot LA est positif. Dans ce dernier groupe « Staclot LA positif », les 20 échantillons négatifs avec le Hex LA le sont aussi avec le DRVV et les 5 autres échantillons sont positifs avec le Hex LA et le DRVV (Figure 2) soulignant dans ce groupe une bonne concordance entre le HexLA et le DRVV.
Tableau 1 : Répétabilité et reproductibilité des contrôles LA1 et LA2 avec les réactifs LA Start et LA Correct du kit Hex LA.
Table 1: Repeatability and reproducibility of LA1 and LA2 tests with LA Start and LA Correct reagents from the Hex LA kit.

Figure 2 : Comparaison des résultats du Hex LA et du DRVV avec ceux du PTT-LA et du Staclot LA.
Figure 2: Comparison of Hex LA and DRVV results with those of PTT-LA and Staclot LA.
Pour chacun des groupes (« PTT-LA négatif », « Staclot LA négatif » et « Staclot LA positif »), les résultats du Hex LA et du DRVV sont indiqués (couleur claire : négatif, couleur foncée : positif). Chaque carré correspond à un échantillon ; la même position dans les colonnes Hex LA et DRVV indique qu’il s’agit du même échantillon.
Dans le groupe de patients Staclot LA négatif, 2 échantillons sont positifs avec le HexLA dont un est également négatif en DRVV et correspond à une patiente de 83 ans hospitalisée pour ischémie aiguë du membre inférieur gauche dans un contexte d’arrêt du Xarelto depuis 24 h pour implantation de pacemaker. Les anticorps anti-b2GPI et anticardiolipine n’ont pas été recherchés et la patiente est décédée au moment de l’étude, ne permettant pas de contrôler ces résultats sur un autre prélèvement. Le second échantillon positif avec le Hex LA (14,7 s) est positif avec le DRVV (ratio S/C = 1,69) et correspond à une patiente connue pour la présence d’un LA persistant dans un contexte de lupus systémique avec atteinte articulaire et cutanée. Dans le cas présent, le Hex LA semble avoir une meilleure sensibilité que le Staclot LA mais l’intérêt est minime car le DRVV était positif et permettait de conclure à la présence d’un LA.
Parmi les échantillons du groupe « Staclot LA positif »
(n = 25), 5 sont également positifs avec le Hex LA et le DRVV et correspondent à des patients connus pour avoir un LA persistant. Les 20 autres échantillons mettent en évidence une discordance franche entre le Staclot LA et le Hex LA et sont tous associés à un DRVV négatif.
Devant la discordance entre les résultats du Hex LA et ceux du Staclot LA dans le groupe « Staclot LA positif », les résultats des deux groupes « Staclot LA » ont été classés selon la concentration de la CRP. Sur les 42 échantillons avec un résultat de Staclot LA, les 6 positifs avec le DRVV ont été exclus (1 dans le groupe « Staclot LA négatif » et 5 dans le groupe « Staclot LA positif ») car connus pour avoir un LA persistant et 8 ont été exclus car la CRP a été dosée à plus de 6 heures de la recherche de LA ou non dosée. L’impact de la CRP sur les résultats de Staclot LA et Hex LA a donc pu être évalué sur 28 échantillons (Tableau 2). Nos résultats montrent que la discordance entre les résultats du Staclot LA (positif) et du Hex LA (négatif) est presque systématique lorsque la CRP est supérieure à 110 mg/L.
L’échantillon n° 2, positif avec le Staclot LA (16 s) dans un contexte de CRP peu élevée (5,2 mg/l), a été analysé devant un TCA isolément allongé (ratio patient/témoin : 1,86 ; CK-PREST, Stago) associé à des taux de facteurs VIII, IX et XI normaux chez une patiente de 18 ans. Le DRVV Screen/Confirm est à 1,13 et le contrôle de la recherche de LA n’a pas été effectué.
Tableau 2 : Comparaison des résultats du Staclot LA et du Hex LA en fonction de la CRP (mg/L).
Table 2: Comparison of Staclot LA and Hex LA results based on CRP (mg/L).
Discussion
Nos résultats montrent une bonne répétabilité pour le réactif Hex LA sur automate STA R Max. Les coefficients de variation (CV) de reproductibilité sont inférieurs aux seuils recommandés par le GEHT pour le TCA, qui sont de 3,9 % (< 40 s), 4 % (40 ; 45 s) et 4,7 % (≥ 45 s), sauf pour le contrôle LA 2 avec le réactif LA Correct (CV calculé à 8,25 % pour un seuil recommandé à 4,7 %) ; ceci peut être expliqué par le nombre peu élevé de passages (n = 9) et doit être vérifié avec un plus grand nombre de tests.
L’étude de comparaison du Staclot LA et du Hex LA en fonction de la CRP montre une interférence de la CRP sur le résultat du Staclot LA avec un fort risque de faux positif lorsque la CRP est très élevée (supérieure à 110 mg/L). Cette interférence a déjà été décrite dans la littérature (2,3). Deux échantillons parmi les 20 du groupe « Staclot LA positif » qui avaient un Hex LA négatif n’ont pas eu de CRP dosée. Cependant, un patient était hospitalisé en service de réanimation pour convulsions, coma et insuffisance respiratoire aiguë et le DRVV (S/C = 1,11) était négatif de même que la recherche d’anticorps anti-B2GPI et anticardiolipine. L’autre patiente avait eu deux fausses couches spontanées et la présence d’un LA avait été objectivée dans un autre laboratoire deux ans auparavant. Le Staclot LA et le Hex LA sont tous les deux à la limite du seuil de positivité, respectivement à 9 s (seuil à 8 s) et 6,7 s (seuil à 7 s), et associés à un DRVV Screen négatif (ratio patient/témoin : 0,97).
La comparaison des résultats obtenus avec le Hex LA avec ceux de nos tests de routine est intéressante sur plusieurs points. Dans le groupe « PTT-LA négatif », tous les résultats de Hex LA sont négatifs alors qu’un tiers des échantillons étaient positifs avec la voie du DRVV, ce qui suggère que le Hex LA n’a pas une meilleure sensibilité que le PTT-LA, mais cela doit être confirmé au vu du faible nombre d’échantillons testés (n = 12).
Dans le groupe « Staclot LA négatif », 15/17 échantillons testés sont négatifs avec les trois tests soulignant la bonne concordance de ces tests lors de l’exclusion d’un LA. Cependant, un échantillon n’est positif qu’avec le Hex LA et un autre est positif avec le Hex LA et le DRVV mais négatif en PTT LA. Ces deux échantillons positifs avec le Hex LA interrogent sur une meilleure sensibilité ou une moins bonne spécificité de ce test par rapport au Staclot LA. Une seule étude a comparé les performances de ces deux tests et rapporte des cas de faux positifs en lien avec la CRP (2). L’industriel qui commercialise le réactif Hex LA rapporte une sensibilité équivalente entre les deux réactifs, mais une meilleure spécificité du Hex LA.
Le nombre d’échantillons étudiés et le contexte des résultats discordants non expliqués par la CRP ne permettent pas de dire si le Hex LA est un meilleur réactif que le Staclot LA en dehors d’un contexte inflammatoire. Toutefois, ce réactif présente plusieurs avantages : il est prêt à l’emploi, nécessite peu de temps à être préparé et est adaptable sur les automates STAR et ACL Top en portée A. Même s’il est recommandé d’éviter de réaliser la recherche de LA en contexte inflammatoire (1), sa faible sensibilité à la CRP permet d’éviter des faux positifs et donc d’éviter certains bilans de contrôle et d’écarter plus rapidement la présence d’un LA. Le principal inconvénient de ce réactif est son coût élevé, ce qui laisse toute sa place au PTT-LA comme réactif de première intention, en association avec le DRVV.
Conclusion
En pratique, le PTT-LA semble être une bonne option comme test de dépistage du fait de son coût peu élevé et de la parfaite concordance entre PTT-LA négatif et Hex LA négatif dans notre étude. L’utilisation du Hex LA en test de confirmation permettrait d’améliorer la spécificité dans des contextes inflammatoires. Des tests complémentaires sur un nombre plus important d’échantillons sont toutefois nécessaires afin de confirmer la bonne concordance entre PTT-LA négatif et Hex LA négatif.
• Le Hex LA est moins sensible à la CRP que le Staclot LA, est prêt à l’emploi et est automatisé, mais a un coût élevé.
• Nous n’avons pas eu de cas de Hex LA positif avec PTT-LA négatif, suggérant que ce dernier reste une bonne option comme test de première intention pour la recherche de LA.
Liens d’intérêts : les auteurs déclarent ne pas avoir de lien d’intérêt en rapport avec cet article.